Le débat sur la décarbonisation du transport routier se concentre souvent sur des totems, comme les véhicules électriques. Or, une stratégie publique réellement efficace pour réduire les impacts liés au transport nécessite une vision beaucoup plus large, à 360 degrés.
Les faits sont tétus : l'industrie des transports représente 13,7 % (2021, source : WRI) des émissions de GES, tandis que la construction d'infrastructures contribue à 1 à 2 % des émissions de GES (source : ORIS). Pour avoir un impact durable, nous devons repenser la mobilité des usagers comme un système multimodal interconnecté et remettre en question le statu quo dès le début d'un projet.
Cela signifie qu'il faut repenser la façon dont nous utilisons les espaces existants et concevons les nouvelles constructions pour créer des réseaux routiers plus efficaces et plus durables. Un véritable changement ne repose pas sur de bonnes intentions, mais sur quatre piliers indissociables, dont nous allons démontrer l'efficacité à l'aide d'exemple.
Un élément clé d'une approche durable consiste à optimiser les infrastructures existantes et à se demander si chaque nouveau projet est vraiment vital. Cette stratégie proactive permet non seulement de réduire les émissions liées aux matériaux et à la construction, mais aussi l'impact environnemental à long terme de l'infrastructure elle-même.
En 2021, le Pays de Galles a fait preuve d'un leadership audacieux en s'engageant à réduire les émissions dues au transport routier. À la suite d'un examen approfondi publié dans le rapport "The Future of Road Investment in Wales", les nouveaux projets routiers ne sont désormais approuvés que s'ils remplissent des conditions spécifiques. Il s'agit notamment d'interdire l'augmentation de la vitesse du trafic, d'éviter de créer de nouvelles capacités pour les véhicules privés (si une nouvelle voie est ajoutée, elle doit être réservée aux transports publics, à la mobilité douce ou au covoiturage) et de réduire au minimum les émissions de carbone pendant la phase de construction. Cette politique a le mérite du pragmatisme : l'augmentation du nombre de voies ne résout pas la congestion du trafic.
De même, les projets de rénovation doivent désormais systématiquement remettre en question leur objectif et proposer des solutions concrètes :
Le projet de réaménagement en 2020 des autoroutes M6 et M7 près de Lyon, en France, en est un exemple. Le projet comprenait :
Cette réhabilitation ambitieuse visait à améliorer la fluidité du trafic tout en encourageant la réduction du nombre de voitures en mettant l'accent sur le transfert modal. Ces cas illustrent une stratégie d'optimisation multicritère fondée sur la réutilisation, l'analyse prospective et la volonté de réduire les impacts sur l'ensemble du cycle de vie de l'infrastructure. C'est ce que signifie concevoir pour la résilience et la durabilité.
Pour réduire véritablement les émissions de gaz à effet de serre, il faut d'abord les mesurer, puis les planifier. Nous devons d'abord mesurer les émissions pour les atténuer et les planifier efficacement. L'objectif est d'avoir un impact tangible et mesurable sur chaque projet.
Les autoroutes nationales du Royaume-Uni ont montré comment utiliser les marchés publics comme un puissant levier de changement. Sa stratégie publique d'atténuation des impacts liés aux transports s'articule autour de deux leviers principaux : l'obligation de mesurer systématiquement les émissions de GES prévues pendant la phase d'étude et l'établissement de règles claires en matière de marchés publics pour les appels d'offres. Elle a introduit des critères d'évaluation renforcés qui mettent l'accent sur la réduction concrète des émissions provenant des matériaux, du transport et de l'exécution du projet. Il s'agit d'intégrer la circularité dans chaque projet, avec un impact mesurable. En 2021, National Highways a reconnu un projet sur l'A590 J36 à Brettargh Holt qui a permis une réduction de 55 % des émissions au stade de la construction, le reste étant compensé pour atteindre la neutralité carbone.
Une transition durable doit être juste. Les politiques ne doivent pas exclure les citoyens vulnérables ou les petites entreprises.
Le gouvernement écossais est un excellent exemple de la manière de développer une stratégie publique inclusive pour réduire les impacts associés au transport. Il a augmenté le financement destiné à soutenir les changements de véhicules dans les zones à faibles émissions (ZFE). Ce fonds vise à accélérer le renouvellement du parc automobile et à populariser les transports publics et la mobilité douce. Si les ZFE sont essentielles pour améliorer la qualité de l'air, elles peuvent soulever des problèmes d'équité sociale. En renforçant le "Low Emission Zone Support Fund", le gouvernement écossais souhaite soutenir les personnes à faibles revenus et les petites entreprises, afin d'éviter leur exclusion. Le fonds financera le renouvellement de leurs véhicules, l'achat de solutions de mobilité douce telles que les vélos électriques et les vélos-cargos, et se concentrera également sur l'adaptation des tarifs des transports publics.
L'éléphant au milieu du couloir (autorotouier ?), c'est que sur les 13,7 % des émissions mondiales de GES, 88 % sont liées au transport routier (passagers et marchandises) et donc, à la combustion de carburants fossiles. Pour transformer véritablement le secteur des transports, nous devons accélérer la transition vers l'abandon des sources d'énergie fossiles.
En 2023, l'Union européenne a pris la décision importante d'interdire l'immatriculation de nouveaux véhicules non électriques à partir de 2035. Cette décision envoie un signal clair et à long terme aux constructeurs, leur donnant plus d'une décennie pour se préparer à cette évolution significative du marché. Cette politique fournit non seulement un calendrier définitif à l'industrie pour réorienter ses stratégies et accélérer la production de véhicules à zéro émission, mais aussi une impulsion supplémentaire aux constructeurs automobiles européens pour qu'ils soient prêts et compétitifs face à la croissance constante des fabricants de véhicules électriques en dehors de l'Europe.
Cette approche proactive du changement énergétique est également adoptée dans d'autres parties du monde. Au Népal, les gouvernements successifs ont mis en œuvre une politique ambitieuse pour réduire leur dépendance au pétrole en investissant massivement dans l'énergie hydroélectrique renouvelable. Le pays est passé du statut d'importateur d'électricité à celui d'exportateur net, près de 95 % de sa production provenant de sources hydroélectriques. Ce changement a permis au Népal de se fixer des objectifs forts et fructueux pour remplacer les véhicules à combustibles fossiles par des véhicules électriques, 73 % des voitures importées et immatriculées devant être des VE d'ici à 2025.
Une stratégie de décarbonisation réellement efficace repose sur ces quatre piliers : sobriété de la demande, optimisation, performance et équité sociale. Lier les exigences mesurables en matière de carbone aux politiques publiques et au soutien des citoyens n'est plus une contrainte ; c'est le moteur d'un avenir durable, accepté et innovant pour tous. C'est le cœur d'une approche axée sur la mission qui aide à construire un monde plus résilient et plus durable.